Webmasteuse a repéré cet article intéressant paru dans le Journal "L'Humanité" du samedi 24 Juin.
" Classique métropolitain
Musique . Celle-ci adoucit vraiment les moeurs, transformant de tristes couloirs du métro en un havre de paix et de beauté.
Cela sonne d’abord comme une discordance, une intrusion, presqu’une incongruité : sans doute une erreur de perception, un tour joué par l’oreille. Dans le bruit des rames qui s’arrêtent ou démarrent, dans l’odeur confinée du métropolitain et le mouvement de foule incessant, l’évidence s’impose pourtant. L’évanescente stridence se fait cascade d’arpèges, envolée de trilles, suite de vibrations harmoniques. En quelques pas, sans la moindre agressivité, les notes remontent le long de l’escalier, envahissent l’espace, se font vagues porteuses. Au tournant d’un couloir, la source se découvre, vivante, en chair et en os. Ils sont neufs : une contrebasse, deux violoncelles, six violons. Quelques partitions s’étalent à même le sol, d’autres sont en équilibre sur un sac. Ils sont neuf : trois femmes et six hommes. Romain, Pavel, Marcello, Sara Luz, Jalil, Magda... sont d’ici et d’ailleurs, la plupart jeunes, quelques-uns moins. À l’instant, leur langue commune est Mozart, sa 25e Symphonie.
À ce carrefour des dédales de la station Châtelet, nombre d’usagers du métro ralentissent le pas, marquent l’arrêt. Quelques-uns, bientôt trente, quarante - qui s’adossent à la voûte, qui s’enlacent, qui prennent appui sur la rampe - oublient un temps la raison de leur hâte : ici s’exprime la surprise, là se lit un bonheur jubilatoire, des bouches, des yeux, des corps disent une émotion intense... Les archets cessent leur sarabande, des applaudissements retentissent, quelques pièces tombent, un CD est acheté. Mouvement de foule. Des instruments se réaccordent, ajoutant au brouhaha du lieu qui reprend le dessus. Trois notes lancées par Martin suffisent, toutes et tous attaquent Vivaldi. Quelques instants suffisent pour que la magie opère à nouveau, que le lieu se transforme, que d’autres voyageurs, aussi divers que les précédents, s’attardent.
Quelques jours auparavant, c’est dans les couloirs de la station Gare-de-Lyon que nous avions découvert le Prélude de Paris. Le lieu autorise une présence plus conséquente. C’est en formation d’orchestre de chambre qu’une quinzaine de musiciens de cet ensemble international s’y produisent tous les vendredis en fin d’après-midi.
Il faut un peu insister pour qu’Arturo décline son rôle de directeur artistique de l’orchestre. Cette formalité passée, il se fait volubile. Prélude de Paris est une structure associative qui compte près de 45 membres, une quinzaine formant son noyau dur. Tous sont des musiciens confirmés, étudiants de conservatoire ou professionnels. L’orchestre se produit quasi exclusivement dans d’improbables lieux publics. Le choix est délibéré : « Il s’agit de porter la musique vers des gens qui, pour la plupart, ne la connaisse pas et donc de jouer en des lieux a priori "adaptés". Cette transgression nous attire parfois des remarques acides sur l’air de la trahison. Mais ce n’est pas le lieu qui fait la musique, c’est celle-ci qui embellit un endroit le plus souvent affreux. » Les artistes du Prélude de Paris ne sont pas des missionnaires : étudiants ou intermittents du spectacle, c’est aussi pour vivre qu’ils se produisent ainsi.
L’agrément délivré par la RATP par période de six mois au terme d’auditions très courues - quelque 350 artistes bénéficient de cette politique de l’entreprise publique - a porté Prélude de Paris au-delà de ses ambitions : au hasard des rencontres métropolitaines, l’orchestre a été invité à se produire à l’île Maurice, en Afrique, et est parfois sollicité par des comités d’entreprise ou des communes.
Prélude de Paris se produit tous les vendredis (fin de journée) à la gare de Lyon (couloir entre métro et RER), le mardi et le jeudi, à Châtelet (14 h 30 - 18 heures, sortie Sainte-Opportune), le samedi et le dimanche place des Vosges (13 h 30-17 heures).
Marc Blachère "